•  

    Gérard Berliner - Mon alter Hugo. Vini Vidi Vixi

    Vini Vidi Vixi

     

     

     
     

    J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
    Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
    Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent,
    Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;

     

    Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu ;
    Puisqu'en cette saison des parfums et des roses,
    Ô ma fille ! j'aspire à l'ombre où tu reposes,
    Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu.

    Je n'ai pas refusé ma tâche sur la terre.
    Mon sillon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voici.
    J'ai vécu souriant, toujours plus adouci,
    Debout, mais incliné du côté du mystère.

    J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai servi, j'ai veillé,
    Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine.
    Je me suis étonné d'être un objet de haine,
    Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

    Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile,
    Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
    Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,
    J'ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

    Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi ;
    Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;
    Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme
    Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.

    Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
    Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit.
    Ô Seigneur, ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
    Afin que je m'en aille et que je disparaisse !

     

    Victor Hugo (1802-1885)

     Recueil Les Contemplations

     


    9 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique